Journal d’un Photographe

par Gilles D'Elia


12 août 2018



Paris — “Libre comme l’air”.




5 août 2018



Paris — Quai des Orfèvres.




2 août 2018



Paris — L’Institut du monde arabe.




29 juillet 2018



Paris — Place de la Concorde.




17 juillet 2018



Les Toits de Paris.




14 juillet 2018



Il n’y a pas que la photo de guerre qui soit risquée. Pour prendre cette photo de la Place de Bastille, j’ai bien failli me faire écraser plusieurs fois, planté sur la route au milieu du carrefour avec mon appareil, sans cesse frôlé par les véhicules qui m’évitaient au dernier moment en klaxonnant furieusement, tandis que j’attendais, pendant près d’une demi-heure qu’il n’y ait plus aucune voiture au premier plan. C’est finalement la police qui m’a délogé, non sans me demander les raisons de mon inconscience. Mais heureusement, la photo était en boite ! Et d’une certaine manière, c’est une photo de guerre.

La Place de la Bastille, symbole absolu de la Révolution française — et de la Révolution tout court.

En 2017, lorsque je pris cette photo, la Place de la Bastille n’avait rien perdu de sa vocation : elle symbolisait toujours la Révolution, une rupture absolue, comme disait Bernanos, mais désormais quelle rupture ! L’anéantissement, la ruine totale de notre vie privée. Et donc de notre liberté. Tout cela bien sûr, étant extraordinairement cool. Voilà pourquoi, sur la colonne de Juillet, on pouvait lire cette déclaration :

« Au parisien qui a écouté “Cold Water” 26 fois le jour le plus chaud de l’année ». Signé : Spotify.

Si Spotify sait qu’un parisien a, tel jour, écouté telle chanson 26 fois exactement, c’est bien que Spotify nous espionne constamment et mesquinement, tout comme Google, Instagram et les autres. Pas une grande nouvelle. Mais pendant qu’ils monitorent la moindre de nos respirations, les géants du web tentent laborieusement de nous rassurer avec leurs bobards rituels : “Votre vie privée est notre priorité”.

Pourtant, dans cette publicité, Spotify fait exactement le contraire : la compagnie se vante de récolter nos données et nous dit implicitement : “non seulement nous savons tout de vous, mais ce que nous savons, nous prenons le bon droit de l’afficher en lettres géantes. Et non seulement nous l’affichons en lettres géantes, mais nous le faisons sur la place même de votre Révolution française.”

Pour que Spotify se permettre une telle hardiesse, il faut que quelque chose ait changé en nous. Est-ce que nous aimons désormais être fliqués ? En tout cas, nous sommes avides de statistiques sur nous-mêmes. Et y a-t-il un meilleur piège pour consentir au flicage que de commencer par se fliquer soi-même ? Dans Les data-obsédés du streaming, un article publié à l’époque dans le journal Libération, on pouvait lire :

Spotify l’a bien compris : le data storytelling, cette volonté de contextualiser et personnaliser les données d’écoute, plaît. Un intérêt qui s’inscrit aussi dans l’air du temps, où la profusion d’éléments d’analyse concerne tous les aspects du quotidien, comme l’explique Antoine Markarian, développeur de l’application Stateeztics :

« Cela est non seulement dû à la facilité de récupérer ces informations via les plateformes de streaming, mais cela fait aussi partie du mouvement du quantified self [« mesure de soi »]. On traque le nombre de ses pas, ses heures de sommeil, le nombre d’étages que l’on monte ou le battement de son cœur. C’est aussi naturel de mesurer ses écoutes musicales. »

De fait, loin de provoquer un tollé, cette campagne d’affichage fit des émules. Quelques mois plus tard, Netflix postait ce tweet : “Aux 53 personnes qui ont regardé A Christmas Prince chaque jour depuis 18 jours : qui vous a fait du mal ?”. Netflix n’hésita pas, la même année, à publier un communiqué de presse dans lequel on pouvait lire en exergue qu’un abonné avait “regardé Pirates des Caraïbes tous les jours pendant un an”.

Ce n’est pas tant Spotify qui prend la Bastille, c’est nous qui l’abandonnons. Voilà pourquoi je tenais tant à faire cette photo.




12 juillet 2018



Paris — Boulevard des Batignolles.




10 juillet 2018



Paris — L’église Saint-Eustache, au cœur du quartier des Halles.




9 juillet 2018



Paris — Les Halles.




8 juillet 2018



“Il faut bien avouer qu’il y avait dans la résistance des Halles, dans les Halles mêmes, quelque chose de pas clair. Il est des emplacements qui, pour avoir été un jour victimes ou témoins d’une mauvaise action, d’un sacrilège parfois oublié, une église détruite, un palais saccagé, un lambeau de gloire abandonné aux chiens, sont devenus des lieux maudits où désormais tout échoue. Beau livre à écrire ! J’ignore ce qu’il adviendra de l’emplacement des Halles. En bon citoyen, j’espère qu’on finira par y bâtir quelque chose de beau, qui ne remplacera pourtant jamais ce qui a disparu. Puissent les Halles ne pas se venger à jamais de ce qu’on leur a fait, si du moins il reste encore quelque chose d’elles, quelque chose d’oublié, dans les abîmes aujourd’hui stérilisés où elles enfonçaient leurs racines, où elles cachaient leur force ! Il y avait les Halles visibles, joyeuses, éblouissantes dans la nuit, à la fois laborieuses et débonnaires. Et puis il y avait les Halles souterraines, secrètes, ténébreuses, capables du plus grand bien comme du plus grand mal, de causer l’abondance ou la famine, l’ordre ou le désordre, la joie de vivre ou le choléra, les Halles véritables, les Halles profondes … Plus rien à voir aux Halles, c’est-à-dire à Paris … Le Paradis perdu.” — Louis Chevalier, L’Assassinat de Paris (1977).




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